Gilles et Louise au Soudan
Ajiep, le 17 décembre 1998.
Salut,
Grande nouvelle! Un avion a réussi à se poser à Ajiep aujourd'hui.
En effet, nous étions privé de piste d'atterrissage depuis plus d'un mois à cause des inondations mais maintenant que l'eau a baissé et que la piste a séché, nous avons un pont aérien avec Loki. Cela est une très bonne nouvelle pour nous car nous serons approvisionnés plus régulièrement en bouffe et en médicaments pour nos centres et aussi nous pourrons bénéficier d'une évacuation plus facile en cas d'urgence médicale chez les expatriés ou en cas de problèmes d'insécurité (PDF ou autres). Nous sommes tous heureux de cet événement.
Depuis aujourd'hui, je suis LE SEUL médecin à Ajiep. Nous étions trois au départ, mais un des médecins a dû terminer sa mission avant la fin (elle était épuisée) et l'autre médecin (la coordinatrice médicale) est actuellement en vacances (bien méritées) pour une dizaine de jours. Je m'occupe donc maintenant de toutes les activités médicales de la mission MSF d'Ajiep au Sud Soudan. Me voilà le seul toubib de la mission à tenir le fort. Ben oui, chez MSF il faut savoir s'adapter... Heureusement qu'il y a une équipe de 4 infirmières et infirmiers pour m'aider (ils sont tous supers et très débrouillards).
Tous les jours, je fais la tournée des patients hospitalisés au PHCU, les consultations médicales plus complexes au PHCU et je répond aussi aux urgences (je suis toujours en contact par talkie-walkie avec une super infirmière d'urgence: Louise)(en passant, Louise se déplace rapidement en vélo de montagne pour les urgences et elle a bien identifié son vélo: le PHCU Emergency Bike. Il ne manque que les gyrophares...), je fais bien sûr toujours la visite des soins intensifs dans les deux TFC ainsi que les consultations aux TFC (admissions, congés, malades), je préside les réunions médicales quotidiennement et je supervise le recueil des données et les statistiques pour tous nous centres. Les infirmiéres sont très compatissantes face à ma charge de travail et font le maximum pour m'aider dans toutes les structures (Louise réanime les traumatisés au PHCU, Vicky et Laurence font les admissions et débutent les traitements au TFC et Francis fait rouler le SFC).
Les conditions de vie semblent vouloir s'améliorer ... en effet, nous n'avons pas vu de serpents cette semaine (mais une infirmière a trouvé un scorpion dans sa tente), on s'est rien fait piqué cette semaine, nous avons réaménagé le camp avec un espace clôture c'est plus intime pour les tentes et le repos, les nuits sont plus fraîches (mais il fait toujours aussi chaud le jour), la nouvelle latrine est presque finie, j ai trouvé un cadeau de Noël pour Louise et on va nous envoyer de la bouffe fraîche.
Ciao!
Ajiep, le 19 decembre 1998.
Salut,
Bon, il suffisait de parler de serpent pour qu il nous en tombe un du ciel.
En effet, lors de la tournée des patients hospitalises au PHCU avec Louise et les infirmiers locaux (un polytrauma, plusieurs infections respiratoires dont un en détresse respiratoire, un cas d'endométrite post-partum, une ostéomyélite, quelques plaies dont quelques unes assez impressionnantes, plusieurs enfants deshydratés à cause de la diarrhée, quelques cas de dysenterie bacillaire et évidemment du paludisme en masse) (un trauma par balle a été transféré à l'hôpital de la Croix Rouge à Loki), il y a un aigle qui passe au dessus de nos têtes alors que nous circulions entre les tentes. Cet oiseau tenait dans ses pattes un gros serpent. Pour une raison dont il est le seul à connaître, il décide de laisser tomber le serpent juste au moment où nous sommes en dessous de lui!
Apres les droppings de bouffe par le WFP, c'est maintenant les droppings de serpent par les oiseaux soudanais. Quel pays!
Ajiep, le 26 décembre 1998.
Salut,
Nous avons décoré le camp pour Noël (guirlandes, lampes au pétrole, chandelles, etc.) et nous avons reçu un container de bouffe directement d'Europe (avec une chaîne de froid pour la dinde).
Pour le réveillon nous avons mangé la super grosse dinde que nous avons fait cuire nous-mêmes dans notre four (la grosse termitière) avec de la salade fraîche et des pommes de terre. Le tout arrosé de vin Sud Africain. Miam, miam... Nous avons chanté et dansé et nous nous sommes couchés très tard. Pour le dîner de Noël, saumon fumé, fromage, saucisson et vin blanc. Pour le souper de Noël, nous avons tuer une vache selon le rituel Dinka (avec une lance) et avons eu le droit à du ragoût (un plat de viande, un plat de tripes et un autre plat de foie) avec du riz et des légumes.
Avec autant de bonne bouffe, nous allons pouvoir nous rendre jusqu'au vacances.
Bye,
Ajiep, le 20 décembre 1998.
Salut les gars,
Pour vous amuser un peu: vu aujourd'hui dans notre salle d'urgence au Ajiep Trauma Center: un cas de piqûre de scorpion et deux cas de morsure de serpent (si j avais plus de temps, je me ferais une série)...Et tenez vous bien, le cas de la journée: un cas de tétanos. Cas en fait très intéressant. Il s'agissait d'une femme d'une trentaine d'année qui souffrait d'une bursite pré-patellaire chronique. Selon l'histoire disponible, il faut croire qu'elle était tannée de cette condition et est alléé consulté un médecin traditionnel. Ce type lui a fait deux incisions au couteau au niveau de la bourse. A l'arrivée à l'urgence (sous notre tente à 40 C), elle était fébrile à 39.5, agitée et avec des contractures musculaires (dont le typique lock jaw). C est alors que le dynamique tandem, Louise et moi, débutons la réanimation: position latérale de sécurité, transfert dans un endroit calme, accés veineux, hydratation, diazepam IV, ASA IV, serum anti-tétanique et Pénicilline G Cristalline. Par la suite, je me gante (et je mets aussi mes lunettes...) pour traiter la plaie. Apres anesthésie, je fait un large débridement chirurgical de la plaie au bistouri et je fais quelques trouvailles insolites. Tout d'abord, il y a plein de bouts de racines dans la plaie. Ben oui, des racines qui ont été mises là par le médecin traditionnel. En plus, les deux petites plaies para patellaires (une en médiane et une en latérale) communiquait entre elle autour du tendon du quadriceps. Bon, ben j'ai pas le choix, j'agrandi mes incisions, débride plus large, enlève toute les racines autour du tendon du quadriceps (avant que ça se mette à pousser...), irrigue en masse puis mets des mèches. Je vous tiens au courant de l'évolution des cas. Dans la même veine, vu hier au Ajiep Trauma Center, un cas de malaria cérébral et un bébé avec une méningite bactérienne qui convulse. On ne s ennuie vraiment pas ici...
Encore pour vous amuser: petits commentaires en passant sur deux médicaments que j'utilise beaucoup ici:
1) Chloramphenicol: bien sûr, en occident, le risque d'aplasie médullaire est un risque inacceptable pour le médecin, mais ici, dans un contexte de moyens très limites ce risque devient acceptable. En effet, le Chloramphenicol est un médicament très efficace dans plusieurs pathologies graves et souvent mortelles (méningite, pneumonie, etc.), il est peu dispendieux, il s'entrepose et se transporte facilement et il est facile à administrer par du personnel local peu formé (il se donne PO, IM ou IV). De plus, comme pour des raisons évidentes de coûts la Cefotaxime et la Ceftriaxone ne sont pas disponibles, le risque d'aplasie médullaire devient un risque acceptable quand on se bat pour sauver une vie ici au Soudan. Et cliniquement (malheureusement j'ai pas encore d'étude clinique randomisée en double insu) la réponse est très bonne.
2) L'Aminophylline: Je me rappelle le temps de mon internat (il y a maintenant 11 ans) où on bombardait les gosses (ben oui, les français sont en train de me contaminer) à coup de bolus d'amino (avant l'ère de la corticothérapie). Ben écoutez, l'amino ca marche encore! C'est en fait le seul bronchodilatateur que je peux utiliser ici et j ai (malheureusement pas encore d'étude clinique randomisée en double insu) d'assez bons résultats cliniques. En effet, je ne peux pas utiliser les corticostéroïdes à cause des risques (il y a beaucoup trop de TB ici) et les aérosols doseurs ne sont pas disponibles pour des raisons de coûts et de compliance. Pour les bronchospasmes sévères, il y a aussi l'epinephrine s/c...Je vous promets que je me remets aux beta-2 et aux stéroïdes à mon retour à l'urgence du CHPB!
Faut savoir s'adapter...
Salut les Mecs.
Louise et Gilles
XXX
Avec l'aimable autorisation d'Alain Vadeboncoeur -
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Dernière mise à jour le 07/01/99