Gilles et Louise au Soudan


Ajiep, Sud-Soudan
Le
11 décembre 1998.

Salut,

Il fait toujours aussi chaud au Sud Soudan ...

Le train est arrivé à WAU, la capitale du Bar El Gazal, ville aux mains des forces gouvernementales. Il y a les PDF (les People Defence Forces, les mercenaires qui protègent le train) qui l'accompagnent. Ils ont tenté de traverser la rivière à WAU mais ils ont été repoussés par le SPLA (Soudan People Liberation Army, les rebelles du Sud). Il y a eu des morts. WAU est à environ cinquante kilomètres d ici.

Nous suivons la situation de très très prés. Ce matin nous avons fait la révision de nos run away back pack, avons revu l'installation de la radio Q-mac (déployer l'antenne, installer les panneaux solaires, etc.) et revu l'utilisation des filtres à eau. Nous travaillons en permanence avec nos talkie-walkies et il y a même des contacts radio réguliers entre les membres de l'équipe pour que tout le monde reste en état d'alerte. L'eau des marais a baissé mais la piste d'atterrissage à Ajiep n'est pas encore praticable (depuis maintenant un mois...) car trop humide. Si nous devons évacuer, ce sera vraisemblablement à pied dans le Bush. La première piste d'atterrissage est à 10 heures de marche vers le sud (à Adet) mais comme les PDF arriveront de ce côté (s'ils montent vers nous...) nous évacuerons (si cela est nécessaire) plutôt vers Lunyaker au nord-est (environ 16 heures de marches).

Nous avons refusé de recevoir d'autres ressources humaines sur la mission sauf pour notre nouveau chef de mission qui doit arriver aujourd'hui (dommage pour le boulot car on avait trouvé un autre médecin pour remplacer Sophie qui avait quittée épuisée). Nous souhaitons garder le nombre d'expatriés sur la mission au strict minimum pour ne pas compliquer une éventuelle évacuation.
En effet, nous ne souhaitons pas être plus de douze personnes au total car c'est le nombre de personnes qui peut entrer dans les avions CARAVAN qui servent pour les évacuations. Nous sommes actuellement onze sur la mission à qui s'ajoutera notre chef de mission cet après-midi (nous étions une vingtaine d'expatriés il y a quelques semaines sans compter les visiteurs de Loki, Nairobi, Bruxelles, Paris et les nombreux journalistes)

Nous travaillons donc un peu sur les nerfs mais on poursuit nos activités cliniques auprès des enfants dans les TFC et des malades au PHCU. Nous sommes en train de réduire un peu nos programmes car nous sommes moins d'expatriés et que la situation nutritionnelle semble s'améliorer (il doit y avoir une enquête nutritionnelle dans les semaines à venir mais malheureusement la nutritionniste responsable vient d'être évacuer pour des raisons médicales... encore un autre expat qui est tombé malade). Nous pensons fermer notre SFC bientôt (Suplementary Feeding Center) ...cela reste à suivre.

Côté serpent, le dernier qu'on a trouvé était dans le toucoul qui sert de bureau au camp MSF. Il est sorti par la dernière tablette de la bibliothèque médicale. Il semble que ce soit un GREEN MAMBA cette fois. Amusant non, un serpent entre le Merck Manuel et le Manson's Tropical Diseases !!! Les serpents sont de toutes les couleurs ici au Sud Soudan mais ils ont toujours deux points en communs: ils sont gros et ils sont venimeux!

Ciao!

Ajiep, Sud-Soudan

Le samedi 12 décembre 1998.

Salut,


Côté sécurité, ça va. Les PDF n'ont pas fait d'autres tentatives pour traverser la rivière. Selon nos sources, les risques d'une autre attaque sont très très faible. On respire mieux! Pas question d'évacuation de la mission pour l'instant donc.

A travers l'intensité de cette mission, nous vivons des choses pas mal cocasses.
En prévision d'une éventuelle évacuation de la mission à pied dans le Bush, nous avions gardé le strict minimum d'effets personnels et avions envoyé nos sacs de voyage par avion à Loki. Nous avions gardé deux paires de pantalons chacun, des T-shirts MSF, quelques paires de bas et pour ma part, trois sous-vêtements (des boxers). Et bien, je viens de m'en faire piquer deux paires! (il y a tellement de monde qui circule dans notre camp que ce n'est pas surprenant...) Alors, il ne me reste qu'une paire de boxer que je lave moi-même tous les soirs. La seule chose que je souhaite est de ne pas me la faire piquer sur la corde à linge durant la nuit!

Après deux semaines de discussion, j ai finalement mon premier souvenir du Sud Soudan. J'ai troqué, contre un T-shirt personnel (le seul qui me restait), un lance traditionnelle soudanaise. Il y a plusieurs types de lances: des lances pour la chasse, d'autres pour la pêche, d'autres pour les cérémonies (comme pour tuer une vache) et les danses (par les spears masters) et d'autres pour les combats. Celle que j'ai est à la fois bonne pour la chasse et les combats. Elle est très belle, très authentique, très coupante mais assez courte (moi je pensais que les lances étaient plus longues que ça...et bien non, les vraies lances soudanaises sont plutôt courtes). J'ai commencé les négociations pour une deuxième lance aujourd'hui... à la vitesse où avancent les négociations ici, je vous en donne des nouvelles dans deux semaines ... Le problème c'est qu'il nous reste très peu de biens personnels à troquer (dans le contexte d'insécurité, on a renvoyé nos sacs à Loki et en plus on se fait piquer le peu qu'on a...). On tentera de faire venir du sel de Loki ou de Nairobi pour servir de monnaie d'échange.

Demain, petite variante, je vais laisser les TFC pour aller à la Drop Zone.
Avec Laurence, une infirmière Belge, nous ferons la distribution générale ciblée avec l'équipe du WFP (World Food Program des Nations Unis).
La mission: donner 25 kg de maïs à environ 1500 enfants et leur famille. Comme personnel médical nous devons dépister les enfants sévèrement malnutris pour les référer à nos TFC. Dans le contexte de cette foule énorme, nous utiliserons le MUAC (Middle Upper Arm Circonference) pour dépister les enfants. Nous mesurons la circonférence au milieu du bras gauche au repos et selon les résultats nous réferons les enfants au TFC ou au SFC pour le poids et la taille. Cette nouvelle expérience sera amusante. Il faut cependant prendre ses précautions pour pouvoir supporter le soleil de plomb toute la journée (chapeau, verres fumés, de l'eau en masse et beaucoup de patience).

Louise de son côté a pris le PHCU en charge. Comme il y a rarement un médecin disponible pour l'appuyer (deux médecins sur la mission pour tous les programmes), elle doit débuter les traitements toute seule: perfusion pour réhydratation, tube naso-gastrique pour ORS (Solution de Rehydratation Orale), antibiotiques, analgésiques, bronchodilatateurs, etc. Elle utilise les guides de traitement de MSF, elle discute des cas par Walkies-Talkies avec un des médecins ou elle attend la visite du médecin pour certains cas.
Elle a de grandes responsabilités et se sort très bien d'affaire. Aujourd'hui, elle a réanimé une patiente comateuse suite à une piqûre de serpent et a reçu deux fractures ouvertes dont une du fémur chez un enfant qui est tombé d'un des rares arbres du Sud Soudan. En fin d'après-midi elle s'est occupée d'une enfant en Paludisme cérébral et d'un autre qui convulsait, hier d'un polytrauma en choc en attendant le médecin et tout ceci au Ajiep Trauma Center.

Je vous quitte car Jeff, le nouveau logisticien de UDA vient de sortir sa guitare et on va chanter un peu autour des lampes à pétrole sous le grand arbre devant le mess. On va ouvrir quelques canettes de bière (chaude) pour cette petite soirée.

Après tout, c'est samedi soir sur la terre.

Ciao!

Ajiep, Sud-Soudan
Le dimanche 13 décembre 1998.

Salut,

L avion Hercule du WFP a laissé tomber la bouffe du ciel ce matin vers 07h30 sur la Dropping Zone.

Il y a déjà environ deux mille personnes qui nous attendent pour commencer la distribution générale. C est très impressionnant à voir! Deux mille personnes au milieu de nulle part qui se bousculent déjà pour recevoir de la bouffe!

De notre côté nous sommes deux p'tit MSF pour tenter de contrôler ce chaos!

Les choses ont plutôt bien commencées malgré la chaleur et le soleil de plomb en plein milieu de la dropping zone. Après une heure et demi nous avions distribuer entre deux et trois cents rations quand tout à coup un chef de tribu est arrivé avec sa troupe réclamant de la nourriture. Ils nous ont encerclé et évidemment il a fallu arrêter la distribution. Les négociations ont débuté, le responsable du SRRA, la branche humanitaire du
SPLA (l'armée rebelle) est arrivé, et finalement on a pu se débarrasser du chef et de sa tribu et poursuivre notre distribution.

Apres le départ du trouble-fête, on continue à distribuer la bouffe aux milliers de personnes qui attendaient quand soudain les types du WFP (World Food Program des Nations Unies) arrivent en catastrophe en nous disant d'évacuer la zone car un de leurs avions s'en vient pour faire un dropping et ceci dans les prochaines minutes!!! Nous, on n'en revient simplement pas!
Nous évacuons donc (avec les deux mille personnes présentes) la dropping zone avant de se faire écraser par un sac de maïs de 50 kg tombant du ciel.

Deux heures plus tard (et deux avions plus tard) nous reprenons la distribution pour la terminer juste au moment du coucher du soleil.

Nous sommes rentrés au camp épuisés et brûlés par le soleil.

Beau p'tit dimanche.

Bye.

Louise et Gilles XXX


Avec l'aimable autorisation d'Alain Vadeboncoeur - Mailing list Urgenet - Québec - Canada


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