Gilles et Louise au Soudan
Apres une évacuation forcée du Congo et un petit repos au Québec, Gilles B. et Louise L., médecin et infirmière d'urgence à Pierre-Boucher (Québec), sont repartis depuis quelques semaines au Sud-Soudan, où sévit une épouvantable famine.
Ajiep, Sud-Soudan
Le 13 novembre 1998
Aprés notre départ de Montréal, nous sommes bien arrivés sur Paris le samedi 31 octobre 1998. Nous avons pris le dimanche 01 novembre de congé pour visiter Paris, faire quelques bonnes bouffes et pour faire quelques photos. Le lundi 02 novembre, nous nous sommes présentés au siège de MSF a Paris où on nous attendait. Nous avons eu des briefings, nos cartes pour la mission et des billets de train pour aller à Bruxelles dés le lendemain (pas de perte de temps, il s agit d'une mission d'urgence et on nous attend sur le terrain). Nous sommes arrivés le 03 novembre à Bruxelles où encore un fois on nous attendait au siège de MSF-Belgique. L'après-midi même (on a quand même pris le temps de déposer nos sacs...) encore des briefings ( médical, nutrition et géo-politique). On nous donne les dernières directives avec nos billets d'avion pour Nairobi au Kenya pour le lendemain le mercredi le 04 novembre. Petit souper de moules et de frites à Bruxelles. Nous avons pris notre dernière douche digne de ce nom ce mercredi 04 novembre 1998!
On EST arrive à Nairobi dans la nuit du 04 au 05 vers 03h00. Nous sommes déjà impressionnés par l'ampleur de la machine en place. Les ressources humaines et matérielles déployées pour cette mission au Sud-Soudan sont tout à fait époustouflantes. Encore une fois, pas de message, les formalités sont rapidement effectuées et dés le lendemain, le 06 novembre, nous prenons l'avion pour Lokichoquio au Nord du Kenya, à environ 20 km de la frontière du Soudan. Lokichoquio est une immense base arrière pour toutes les opérations humanitaires au Sud Soudan. Elle est principalement occupée par les organisations de l'OLS. L'OLS est l'Operation Lifeline Soudan. C'est une organisation pour coordonner les efforts humanitaire au Sud Soudan. L'OLS est sous la coordination de l'UNICEF et il y a des nombreux partenaires dont les plus gros sont le WFP (le World Food Program des Nations Unies) et MSF (surtout la section Belge mais avec des ressources humaines de toutes les autres sections). Il y a aussi une cinquantaine d'autres ONG. Le camps de l'OLS à Lochichoquio est impressionnant avec la présence de toutes ces organisations et associations, avec les entrepôts de bouffe et de médicaments, avec la piste tout prés avec les avions cargo du WFP, le trafic aérien impressionnant (au milieu de nulle part...) et avec tout le va et vient des ressources humaines (des dizaines pour ne pas dire des centaines par jour).
A Loki (c'est comme cela qu'on appelle Lokichoquio ici) on rencontre le chef de notre mission, le coordinateur médical, le coordinateur des vols (on doit participer à un dropping de bouffe à bord des avions du WFP de l'ONU), la nutritionniste et la responsable des ressources humaines.
A Loki, encore des briefings: on apprend alors que notre mission à Acumcum est déplacée pour une mission à Ajiep. Les choses s'améliorent un peu à Acumcum alors que l'urgence semble persister encore à Ajeip et que les indices de mortalité demeurent élevés. Nous obtenons nos papiers du SPLA (les forces rebelles) pour pouvoir nous déplacer et travailler dans la province du Bar El Gazal. On nous remet aussi nos Run Away Back Pack c'est à dire nos sacs à utiliser en cas d'évacuation de la mission. En effet, comme il n'y a pas de route dans le Bar El Gazal, si nous devons évacuer la mission ce sera soit en avion ou soit à pied dans le BUSH.
Notre sac d'évacuation comprend une gourde, une boussole, un couteau, une cuillère, une moustiquaire, quelques vêtements, du chlore, du chasse-moustique, un gobelet, une petite trousse médicale, un filtre pour l'eau, une radio HF et un peu de bouffe sous forme de biscuits protéinés et de sac de beurre d'arachide huileux (plumpy nut) miam miam...
Le lundi le 09 novembre,
nous avons pris l'avion à 07h30 en direction du Sud Soudan.
Quel choc !!!!!!!!!!!!!!!
Notre mission au Congo était un vrai pique-nique comparé à cela.
Tout d'abord l'arrivée. En fait le Sud Soudan est probablement la plus grosse Swamp de la planète. Ici il y a des marais partout. La première piste pour atterrir étant inondée, nous devons atterrir sur une deuxième piste (si on peu appeler cela une piste) dans la savane. Jamais j'aurais cru qu'on pouvait poser une avion sur cette piste... De la piste nous quittons dans la boite du pick-up de MSF (une des premiers bagnoles à circuler au Sud Soudan) avec les membres de l'équipe venus nous accueillir en pleine savane (ben oui, y'a pas de route!). Nous roulons dans le foin haut de deux mètres vers le camp de MSF. |
Autre choc en arrivant à Ajiep à environ un kilomètre de la piste. En fait Ajiep est composé à 90 pour cent de personnes en déplacement (des réfugiés) à cause de la guerre et de la famine . Ces gens vivent dans des conditions épouvantables. La pauvreté est extrême. La majorité des gens vivent nue ou avec quelques vêtements déchirés sur le dos, ils habitent sous des abris de fortune faits avec les vieux sac de nourriture de WFP. Il y a environ 10 000 personnes qui vivent dans ces conditions. Les choses s'améliorent mais il y a encore pas mal de malnutrition. Nous sommes bouleversés de voir une telle pauvreté. Il n'y a vraiment pas de mots...
Nos conditions de vie dans le camp MSF sont évidemment beaucoup mieux que leur condition à eux mais les conditions de vie sont néanmoins des plus rudimentaires. Nous dormons sous la tente (il faut se méfier des scorpions et des serpents), nous avons des belles latrines creusées à même le sol (avec des nuages de mouches autour...) et une douche à ciel ouvert. La bouffe est infecte. Elle est a base exclusivement de conserves qu'on nous prépare n'importe comment: Du thon en conserve chauffé, des asperges à la sauce tomate, des carottes à l'huile, du corned beef, etc. Mais au moins, nous on a de la bouffe...
Les moyens de communication sont aussi très limitées. En fait, le SPLA (les rebelles) nous autorise seulement à avoir des phonies (des radio H.F.) sur lesquels on doit parler exclusivement en anglais pour qu'ils puissent nous écouter. Ils interdisent l'utilisation d'autres moyens de communication comme le télex, les téléphones par satellite ou l'Internet (par satellite) (voici pourquoi les nouvelles tardaient pour arriver). J ai dû envoyer ce e-mail en Jeep jusqu'à Adet (6 heures) sur une disquette, puis de Adet, en avion jusqu à Lokichoquio, de Loki par télex jusqu'à Nairobi et enfin sur le Net à Nairobi...
Nous avons eu un super briefing pour la sécurité. Nous avons appris à déployer un antenne radio, à installer des panneaux solaires, à filtrer l'eau, à utiliser les radios et les codes, et comment survivre à une prise d'otage. En plus, une autre première pour Louise et moi durant cette mission: la visite d'un abri anti-bombe. En effet, dans notre camp, nous avons notre propre abri pour se protéger en cas de bombardement des forces gouvernementales... (nous souhaitons ne pas avoir à nous en servir)
De plus, nous on pensait avoir eu chaud au Congo et bien ce n'est pas vrai. Ici au Sud Soudan, IL FAIT CHAUD! En fait c'est à peu près comme si on était assis dans un four et que le cuisinier aurait mit le four à BROIL. c'est écoeurant comme y peut faire chaud. Il fait entre 38 et 40 degrés à l'ombre. En plus, nous travaillons sous des tentes....
Côté boulot eh bien aussi, c'est diffèrent!
A cause de l'urgence, MSF a plusieurs structures en place. Nous avons deux TFC (Therapeutic Feeding Center) (Centre Nutritionnel Therapeutique), un SFC (Supplementary Feeding Center) (Centre de Nutrition Supplementaire), un PHCC (Primary health Care center) (un dispensaire) et un entrepôt de bouffe gèré par UDA qui est Urgence et Developpement Alimentaire, un satellite de MSF-France. Nous nous occupons aussi de la piste (l'air strip) et de la zone de dropping pour la bouffe qui nous tombe du ciel par les avions de la WFP.
Ma mission comme médecin est d'offrir les soins médicaux aux 400 enfants souffrant de malnutrition dans les deux TFC (dont deux unités de soins intensifs de 15 à 20 enfants chacun), de coordonner les activités médicales dans ces deux centres, de tenir les statistiques de mortalité, de mettre sur pied les statistiques de morbidité, de surveiller les épidémies dans les centres et de contrôler la distribution générale de la bouffe pour les patients touchés par nos TFC. Louise de son côté est responsable d'un des TFC. Comme infirmière elle est beaucoup plus près de la gestion du centre et des soins qui y sont donnés. Elle supervise le personnel local. Elle s'occupe de l'hygiène, des mesures anthropométriques, des soins infirmiers, etc. Elle gère le flot des enfants qui se présentent à nos centres à tous les jours. Elle participe à la mise à jour de la liste des patients, des admissions, des sorties et aussi de l'obtention et de la rédaction des statistiques. Elle fera aussi la vaccination contre la rougeole de tous les enfants dans les jours à venir avec les autres infirmières MSF. Elle sera probablement mutée au PHCC et sera responsable de la pharmacie MSF dans quelques semaines lorsqu'il y aura attrition de l'équipe pour des raisons de sécurité. Nous participons aussi tous les deux aux distributions alimentaires. Nous distribuons une partie de la bouffe du WFP à Ajiep (pour la population touchée par nos centres) et nous participons à une distribution de nourriture ciblée pour la population fragile (Blanket Feeding) qui touche plus de mille personnes. Nous travaillons beaucoup. Nous nous levons avec le soleil dés 05h30 ou 06h00, nous rentrons des TFC vers 17h30 (soit avant le coucher du soleil pour des raisons de sécurité) et après avoir bouffé nos conserves (dégeulasses!) il y a les réunions, les statistiques et les lectures.
Il faut sans cesse ajuster le tir de nos interventions à cause des nombreux imprévus avec lesquels nous travaillons. Par exemple, aujourd hui, il a fallu déplacé un des deux TFC qui a été inondé et prévoir une troisième piste d'atterrissage pour les mêmes raisons. On va bientôt manquer de Plumpynut (un mélange de protéines au goût d'arachides) alors on a remplacé par des BP-5 (des biscuit spéciaux aux protéines) en s'assurant de respecter l'apport en protéines et en calories par jour. Nous travaillons aussi avec un nombre restreint de médicaments et le nombre d'enfants à traiter est très important. Le personnel local n'a aucune formation digne de ce nom.
L équipe d'expatriés sur le terrain est composé d'une vingtaine de personnes dont la moitié pour le personnel médical et l'autre moitié pour le personnel logistique. Il y a des français (dont 3 du midi de la France), des belges, des kenyans, une danoise, un salvadorien et bien sûr, deux québécois! La compétence et l'expérience de l'équipe en place est impressionnante. Nous apprenons beaucoup.
Bref, on ne s'ennuie pas.
Gilles et Louise
Avec l'aimable autorisation d'Alain Vadeboncoeur - Mailing list Urgenet - Québec
- Canada
Dernière mise à jour le 28/12/98